Peter Cherif avait prévu de garder le silence, mardi 17 septembre, au deuxième jour de son procès devant la Cour d’assises spéciale de Paris. « Je ne répondrai pas aux questions, madame la Présidente », a-t-il poliment opposé, bras croisés et regard bas, à chaque tentative de la cour pour sonder sa personnalité, à laquelle était consacrée cette journée.
Avec son costume gris, sa cravate noire et ses silences calculés, ce vétéran du djihad de 42 ans, aux faux airs de banquier, qui a combattu en Irak avant de passer sept ans dans les rangs d’Al-Qaida dans la péninsule Arabique, au Yémen, pensait alors avoir pris le contrôle de l’audience. Cette figure du terrorisme islamiste doit notamment y répondre de son rôle dans le recrutement, par Al-Qaida, de son ami Chérif Kouachi, pour perpétrer l’attentat du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo.
Peter Cherif aime avoir l’ascendant, sur les situations et sur les gens. Durant toute la matinée, personne, ni la cour ni le ministère public, n’était parvenu à lui arracher un mot. Et puis, à la reprise des débats, après la pause méridienne, une petite jeune femme en chemisier à fleurs a fait voler en éclats sa stratégie de défense. Fatma A. a été sous l’emprise de l’accusé. Elle s’en est libérée à la barre de façon spectaculaire, et le mur de silence s’est effondré.
Le mari et le frère
On a d’abord cru qu’elle n’y arriverait pas. Que ce procès était condamné à s’écouter entre les non-dits de l’un et la terreur des autres. A peine avait-elle franchi la porte de la salle d’audience que Fatma A., 32 ans, prise d’une crise de panique, est retournée se cacher dans la salle des témoins. « J’peux pas », « J’peux pas », l’a-t-on entendue sangloter. Puis elle a trouvé la force. Elle est revenue dans la grande salle, s’est traînée d’un pas mal assuré jusqu’à la barre, et l’audience a basculé dans un torrent de mots, de larmes, de vie et de rires.
Fatma A. est une ancienne captive. Une « survivante », dit-elle. Pendant quatre mois, en 2009, elle a été mariée religieusement à Peter Cherif. Quatre mois de « violences », de « viols » et de « séquestration ». C’est la première fois qu’elle fait le récit de ce cauchemar devant une cour d’assises. Elle inspire un grand coup.
« Avez-vous vécu en concubinage avec Peter Cherif ? », commence la présidente, Frédérique Aline.
« Oui, quand j’étais mineure », lâche énergiquement la jeune femme.
Le ton est donné. Fatma a vécu un enfer, prisonnière de deux « pourritures » : son grand frère Boubaker El-Hakim, l’un des djihadistes français les plus redoutés, qui faisait régner la terreur au domicile familial, et un ami de ce dernier, l’accusé Peter Cherif. Elle est venue dire tout haut ce que ces deux hommes, qui avaient combattu quelques années plus tôt en Irak, lui ont fait subir dans le huis clos de deux appartements du 19e arrondissement de Paris.
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