Elle est là, ce matin, sur les ondes, pour faire la promo de son nouveau livre : Le Vertige MeToo (Grasset). La rédactrice en chef de Franc-tireur, Caroline Fourest, est interrogée par Léa Salamé et Nicolas Demorand pour le "grand entretien" de la matinale de France inter. Il y a, dans le titre du livre "quelque chose de pas franchement positif", observe, le nez fin, Léa Salamé. Caroline Fourest veut en effet critiquer le "retour de balancier" du mouvement #MeToo, ces cas d'hommes et de femmes "mis à mort socialement" à cause d'"accusations de plus en plus légères et de moins en moins établies" ou d'"abus de pouvoir"Dans la révolution #BalanceTonPorc, "il y a le meilleur et le pire", soutient l'essayiste. (Un discours qui ressemble étrangement à celui des "réacs les plus misogynes", taclent certains journalistes sur X.)
L'ambiance sonore est feutrée. Les voix sont posées. Les journalistes, prudents. #MeToo, c'est le "sujet inflammable par excellence", ose Nicolas Demorand, en plein procès dit des viols de Mazan et en pleine vague de témoignages contre l'Abbé Pierre. Son invitée, brode-t-il, a tenté de "faire un bilan d'étape qui rende hommage à la libération de la parole des femmes mais qui regarde aussi les excès qu'elle peut engendrer", ce, "au risque de relancer des polémiques". Derrière la "complexité, on sent de la perplexité", poétise le journaliste. C'est un essai, poursuit Léa Salamé, que l'autrice "veut nuancé et argumenté". Caroline Fourest, le timbre sérieux et posé, renchérit : le sujet est un "tourbillon grisant". Est-on dans un podcast mielleux sur la poésie un lundi à 23 h 30 ou dans la matinale la plus écoutée de France pour parler de violences sexuelles ? On s'y perdrait. "La honte a changé de camp, la peur a changé de camp, mais la meute, aussi, a changé de camp. Ce qui permet aujourd'hui d'avoir cette puissance d'accusation, c'est parce qu'on est enfin écoutées, mais en plus, on est crues sur parole." Elle suggère de ne plus dire "je te crois" mais "je t'écoute" pour signifier qu'il faut examiner le détail de chaque accusation. Voilà l'action à entreprendre pour œuvrer pour la justice dans notre société.
Exemples. La "pédiatre féministe" qui vit désormais "recluse"Caroline Rey-Salmon, objet d'une plainte pour viol (désormais classée sans suite) dans le cadre d'un examen gynécologique, "sans intention sexuelle" (un motif qui n'apparaît aucunement dans la définition du viol). Nicolas Demorand embraye, citant le livre de Caroline Fourest. "Nous sommes passés d'une société de l'honneur imposant le bâillon à une société de la pureté maniant le bûcher et la délation. Dans ce nouveau monde, il suffit d'accuser pour exister." On convoque les grands mots : Fourest parle de "Terreur". Ne risque-t-elle pas, demande Demorand, de fragiliser la libération de la parole des victimes ? Dieu que non ! Caroline Fourest d'accord pour soutenir #MeToo, assure-t-elle, mais pas le "ridiculiser". Il faut pour cela une "riposte graduée" et un "féministe juste". "On ne peut pas utiliser le féminisme pour broyer des innocents." 
Toute révolution n'a-t-elle pas ses dégâts collatéraux ? N'est-il pas trop tôt ? Les féministes ont-elles réellement le pouvoir, demande à la suite Léa Salamé ? Caroline Fourest répond en parlant de son refus de signer la tribune du Monde sur la "liberté d'importuner" et parle du droit du travail, qu'un certain féminisme, selon elle, "bafoue" ainsi que "la présomption d'innocence". Elle ajoute que si on le lui avait proposé, elle ne sait pas si elle aurait tourné avec Depardieu. La révolution du genre a déjà tué - oui, tué - assume-t-elle encore : regardez Taku Sekine, ce chef cuisiner qui s'est suicidé à la suite d'accusations de violences sexuelles. Peut-être à cause de "sa propre conception de l'honneur". Regardez Ibrahim Maalouf, écarté du jury festival de cinéma, alors qu'il ne "présente aucun risque" de récidive. Preuves incontestables.
Quand soudain.
Quand soudain - après 14 minutes 46 de débat finkielkrautien, de références culturelles de SciencesPistes, de concepts intello et de deux-trois exemples tirés du monde (très inclusif, populaire et représentatif de la société) du cinéma, destinés à dire qu'on est trop méchant·es, collectivement, avec les agresseurs - surgit un uppercut cosmique : Laurence.
Au standard de France Inter, cette auditrice intervient. "Je suis désolée, je suis un peu émue", amorce Laurence. "Je suis une ancienne victime d'inceste et d'agressions, jalonnées tout au long de ma vie." Elle a conscience de la personne à qui elle s'adresse : "Madame Fourest se positionne comme féministe. Ça désamorce toute critique, comme elle peut le reprocher à toutes les femmes qui parlent." Laurence a pour elle un message : il est "trop tôt" pour appeler les victimes à censurer leur parole. Elle observe "encore trop de femmes qui se taisent". De sa voix suave, Caroline Fourest coupe Laurence. 
"Madame, est-ce que je peux vous inciter à lire le livre ?" Il vient de sortir le jour même. Il n'est pas 9 h du matin. Laurence n'a matériellement eu aucune chance de le lire, mais Caroline Fourest préfère l'abaisser au rang d'ignare. Caroline Fourest se lamente. Ce que Laurence vient de dire, "ça me brise en 1 000 morceaux, en fait". Façon Éric Dupond-Moretti, elle répète "Madame", comme pour donner à son interlocutrice une dignité rhétorique qu'elle ne lui accorde pas, en réalité. "C'est la source de mon engagement que cette parole soit entendue." "Madame, s'il vous plait, je sais qu'on vit dans une société polarisée où on n'a plus le droit de débattre dans la nuance, mais ne croyez pas que quand on dit : «Ne mettez pas sur le même plan une proposition déplacée et ce que vous vous avez vous, vécu, Madame», c'est pour nier ce que vous avez vécu. C'est le contraire". Laurence n'a donc rien compris !
Laurence, en réponse, a l'air abattue. "Oh, mais, écoutez... Moi je ne peux pas m'exprimer aussi bien que Madame Fourest. Surtout dans l'état émotionnel dans lequel je suis là." Elle souffle. "Mais je pense que parler comme ça à une victime qui est en plein psychotrauma, c'est totalement délétère." Elle dit n'observer autour d'elle, dans son quotidien, "pas beaucoup de gens qui ne font pas la différence entre un viol, une agression sexuelle ou un propos déplacé". Alors, que Caroline Fourest insiste sur le "doute", cela la peine. L'essayiste la coupe encore. "Non, Madame", "non, Madame"... "Donc on ne peut pas discuter vous et moi ?" Laurence, du tac au tac : discuter, "c'est ce que je suis en train de faire". "C'est pas parce que je ne suis pas d'accord avec vous que je ne discute pas". Laurence s'excuse, sans avoir à le faire. Inter donne le dernier mot à Caroline Fourest. Elle semble regretter cet échange qui pose une question, selon elle, de "responsabilité journalistique". Pourquoi ?
"J'ai vu, opposé à un propos intellectuel, un ressenti de victime".
Cela, soutient Caroline Fourest, mène à une "impasse". Le ressenti des victimes n'a pas sa place dans les débats médiatiques sur les violences sexuelles. Laissons parler les intellos.
L'interview se ponctue avec un dernier exemple que cite Caroline Fourest. Une soirée VIP entre femmes du cinéma. Une productrice féministe a "traversé l'enfer" à cause d'une accusation de "geste furtif" que personne n'a pu étayer. L'enfer étant : une garde à vue. Laurence apprécie-t-elle de voir le terme "enfer" employé pour cela, plutôt que pour parler de l'inceste qu'elle a subi ? On ne saura pas, France Inter a raccroché. 
Qu'une essayiste plaide pour protéger les hommes de fausses accusations, soit - la droite et l'extrême droite nous y ont habitué·es, sur les plateaux. Qu'une essayiste considère que sa parole est plus valable que celle de personnes concernées, soit - c'est la définition même de l'élite médiatique et de ses privilèges. Qu'une radio publique choisisse de diffuser à heure de très grande écoute des théories qui tendent à discréditer la parole des femmes, en revanche, non. Qu'aucun·e journaliste en plateau ne relève : que "l'intention sexuelle" n'est pas un critère du viol, que 72 heures de garde à vue ne sont pas comparables à de l'inceste, que le journalisme requière de se confronter au vécu des victimes, à celui de Laurence ou ne s'intéresse à la souffrance des victimes, non non et non. France Inter, face à Caroline Fourest, a fait le choix du silence polissé. Ce matin, seule Laurence a choisi la dignité.
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Elle est là, ce matin, sur les ondes, pour faire la promo de son nouveau livre : Le Vertige MeToo (Grasset). La rédactrice en chef de Franc-tireur, Caroline Fourest, est interrogée par Léa Salamé et Nicolas Demorand pour le "grand entretien" de la matinale de France inter. Il y a, dans le titre du livre "quelque chose de pas franchement positif", observe, le nez fin, Léa Salamé. Caroline Fourest veut en effet critiquer le "retour de balancier" du mouvement #MeToo, ces cas d'hommes et de femmes "mis à mort socialement" à cause d'"accusations de plus en plus légères et de moins en moins établies" ou d'"abus de pouvoir"Dans la révolution #BalanceTonPorc, "il y a le meilleur et le pire", soutient l'essayiste. (Un discours qui ressemble étrangement à celui des "réacs les plus misogynes", taclent certains journalistes sur X.)
L'ambiance sonore est feutrée. Les voix sont posées. Les journalistes, prudents. #MeToo, c'est le "sujet inflammable par excellence", ose Nicolas Demorand, en plein procès dit des viols de Mazan et en pleine vague de témoignages contre l'Abbé Pierre. Son invitée, brode-t-il, a tenté de "faire un bilan d'étape qui rende hommage à la libération de la parole des femmes mais qui regarde aussi les excès qu'elle peut engendrer", ce, "au risque de relancer des polémiques". Derrière la "complexité, on sent de la perplexité", poétise le journaliste. C'est un essai, poursuit Léa Salamé, que l'autrice "veut nuancé et argumenté". Caroline Fourest, le timbre sérieux et posé, renchérit : le sujet est un "tourbillon grisant". Est-on dans un podcast mielleux sur la poésie un lundi à 23 h 30 ou dans la matinale la plus écoutée de France pour parler de violences sexuelles ? On s'y perdrait. "La honte a changé de camp, la peur a changé de camp, mais la meute, aussi, a changé de camp. Ce qui permet aujourd'hui d'avoir cette puissance d'accusation, c'est parce qu'on est enfin écoutées, mais en plus, on est crues sur parole." Elle suggère de ne plus dire "je te crois" mais "je t'écoute" pour signifier qu'il faut examiner le détail de chaque accusation. Voilà l'action à entreprendre pour œuvrer pour la justice dans notre société.
Exemples. La "pédiatre féministe" qui vit désormais "recluse"Caroline Rey-Salmon, objet d'une plainte pour viol (désormais classée sans suite) dans le cadre d'un examen gynécologique, "sans intention sexuelle" (un motif qui n'apparaît aucunement dans la définition du viol). Nicolas Demorand embraye, citant le livre de Caroline Fourest. "Nous sommes passés d'une société de l'honneur imposant le bâillon à une société de la pureté maniant le bûcher et la délation. Dans ce nouveau monde, il suffit d'accuser pour exister." On convoque les grands mots : Fourest parle de "Terreur". Ne risque-t-elle pas, demande Demorand, de fragiliser la libération de la parole des victimes ? Dieu que non ! Caroline Fourest d'accord pour soutenir #MeToo, assure-t-elle, mais pas le "ridiculiser". Il faut pour cela une "riposte graduée" et un "féministe juste". "On ne peut pas utiliser le féminisme pour broyer des innocents." 
Toute révolution n'a-t-elle pas ses dégâts collatéraux ? N'est-il pas trop tôt ? Les féministes ont-elles réellement le pouvoir, demande à la suite Léa Salamé ? Caroline Fourest répond en parlant de son refus de signer la tribune du Monde sur la "liberté d'importuner" et parle du droit du travail, qu'un certain féminisme, selon elle, "bafoue" ainsi que "la présomption d'innocence". Elle ajoute que si on le lui avait proposé, elle ne sait pas si elle aurait tourné avec Depardieu. La révolution du genre a déjà tué - oui, tué - assume-t-elle encore : regardez Taku Sekine, ce chef cuisiner qui s'est suicidé à la suite d'accusations de violences sexuelles. Peut-être à cause de "sa propre conception de l'honneur". Regardez Ibrahim Maalouf, écarté du jury festival de cinéma, alors qu'il ne "présente aucun risque" de récidive. Preuves incontestables.
Quand soudain.
Quand soudain - après 14 minutes 46 de débat finkielkrautien, de références culturelles de SciencesPistes, de concepts intello et de deux-trois exemples tirés du monde (très inclusif, populaire et représentatif de la société) du cinéma, destinés à dire qu'on est trop méchant·es, collectivement, avec les agresseurs - surgit un uppercut cosmique : Laurence.
Au standard de France Inter, cette auditrice intervient. "Je suis désolée, je suis un peu émue", amorce Laurence. "Je suis une ancienne victime d'inceste et d'agressions, jalonnées tout au long de ma vie." Elle a conscience de la personne à qui elle s'adresse : "Madame Fourest se positionne comme féministe. Ça désamorce toute critique, comme elle peut le reprocher à toutes les femmes qui parlent." Laurence a pour elle un message : il est "trop tôt" pour appeler les victimes à censurer leur parole. Elle observe "encore trop de femmes qui se taisent". De sa voix suave, Caroline Fourest coupe Laurence. 
"Madame, est-ce que je peux vous inciter à lire le livre ?" Il vient de sortir le jour même. Il n'est pas 9 h du matin. Laurence n'a matériellement eu aucune chance de le lire, mais Caroline Fourest préfère l'abaisser au rang d'ignare. Caroline Fourest se lamente. Ce que Laurence vient de dire, "ça me brise en 1 000 morceaux, en fait". Façon Éric Dupond-Moretti, elle répète "Madame", comme pour donner à son interlocutrice une dignité rhétorique qu'elle ne lui accorde pas, en réalité. "C'est la source de mon engagement que cette parole soit entendue." "Madame, s'il vous plait, je sais qu'on vit dans une société polarisée où on n'a plus le droit de débattre dans la nuance, mais ne croyez pas que quand on dit : «Ne mettez pas sur le même plan une proposition déplacée et ce que vous vous avez vous, vécu, Madame», c'est pour nier ce que vous avez vécu. C'est le contraire". Laurence n'a donc rien compris !
Laurence, en réponse, a l'air abattue. "Oh, mais, écoutez... Moi je ne peux pas m'exprimer aussi bien que Madame Fourest. Surtout dans l'état émotionnel dans lequel je suis là." Elle souffle. "Mais je pense que parler comme ça à une victime qui est en plein psychotrauma, c'est totalement délétère." Elle dit n'observer autour d'elle, dans son quotidien, "pas beaucoup de gens qui ne font pas la différence entre un viol, une agression sexuelle ou un propos déplacé". Alors, que Caroline Fourest insiste sur le "doute", cela la peine. L'essayiste la coupe encore. "Non, Madame", "non, Madame"... "Donc on ne peut pas discuter vous et moi ?" Laurence, du tac au tac : discuter, "c'est ce que je suis en train de faire". "C'est pas parce que je ne suis pas d'accord avec vous que je ne discute pas". Laurence s'excuse, sans avoir à le faire. Inter donne le dernier mot à Caroline Fourest. Elle semble regretter cet échange qui pose une question, selon elle, de "responsabilité journalistique". Pourquoi ?
"J'ai vu, opposé à un propos intellectuel, un ressenti de victime".
Cela, soutient Caroline Fourest, mène à une "impasse". Le ressenti des victimes n'a pas sa place dans les débats médiatiques sur les violences sexuelles. Laissons parler les intellos.
L'interview se ponctue avec un dernier exemple que cite Caroline Fourest. Une soirée VIP entre femmes du cinéma. Une productrice féministe a "traversé l'enfer" à cause d'une accusation de "geste furtif" que personne n'a pu étayer. L'enfer étant : une garde à vue. Laurence apprécie-t-elle de voir le terme "enfer" employé pour cela, plutôt que pour parler de l'inceste qu'elle a subi ? On ne saura pas, France Inter a raccroché. 
Qu'une essayiste plaide pour protéger les hommes de fausses accusations, soit - la droite et l'extrême droite nous y ont habitué·es, sur les plateaux. Qu'une essayiste considère que sa parole est plus valable que celle de personnes concernées, soit - c'est la définition même de l'élite médiatique et de ses privilèges. Qu'une radio publique choisisse de diffuser à heure de très grande écoute des théories qui tendent à discréditer la parole des femmes, en revanche, non. Qu'aucun·e journaliste en plateau ne relève : que "l'intention sexuelle" n'est pas un critère du viol, que 72 heures de garde à vue ne sont pas comparables à de l'inceste, que le journalisme requière de se confronter au vécu des victimes, à celui de Laurence ou ne s'intéresse à la souffrance des victimes, non non et non. France Inter, face à Caroline Fourest, a fait le choix du silence polissé. Ce matin, seule Laurence a choisi la dignité.